Journées Techniques de l’ADA Grand Est, édition 2024 – Conférences


Publié le
Partager sur

Chaque année, l’ADA Grand Est organise ses Journées Techniques, un évènement rassemblant ses adhérents et les apiculteurs de la région intéressés d’en apprendre plus sur des sujets techniques apicoles variés au cœur de l’actualité de la filière apicole.

L’édition 2024 des Journées Techniques de l’ADA Grand Est s’est tenue les 15 et 16 février, à l’ADEPPA de Vigy (Moselle). Les participants de ce séminaire de 2 jours ont pu assister à 3 conférences d’experts, à l’assemblée générale de l’ADA Grand Est, ainsi qu’à une table ronde sur un thème au cœur des médias et des préoccupations des apiculteurs : un état des lieux et un échange sur le marché et la commercialisation du miel en France.

Vous trouverez dans cet article un résumé de la première journée de cet évènement. L’ADA Grand Est tient à remercier toutes les apicultrices et apiculteurs qui ont enrichi ces rencontres par leur présence, leurs questions, leurs interventions et leurs échanges conviviaux.

JOUR 1 – Trois conférences d’experts

« Compétitions entre abeilles : l’émergence des ressources florales comme un bien commun »

– présentée par Léo Mouillard-Lample, chef de projet à l’ITSAP

Léo Mouillard-Lample, chef de projet à l’Itsap – Institut de l’Abeille sur les interactions entre abeilles, et le risque de concurrence pour les ressources florales, a présenté sa thèse « Compétitions entre abeilles : l’émergence des ressources florales comme un bien commun ? ».

Menée sur le Territoire du Parc National des Cévennes entre 2020 et 2021, cette étude visait à observer l’existence d’une compétition entre les abeilles d’un même territoire et de définir dans quelle mesure les variables apicoles influencent la quantité des ressources prélevées par les abeilles. Elle posait aussi la question de la perception par l’apiculteur des ressources comme bien commun, et de la mise en place d’une gestion collective de ces ressources pour en assurer le partage.

Le Parc National des Cévennes concentre 26 000 ruches pour 310 apiculteurs et apicultrices. On y trouve de mars à août : de la bruyère blanche et cendrée, de l’acacia, du trèfle et de la scabieuse, du châtaignier, de la ronce et de la callune. Le protocole mis en place consistait à mesurer grâce à des prélèvements le succès d’approvisionnement en pollen et en nectar des abeilles (pas d’analyse liée au miellat ni à la miellée de Châtaignier),  en fonction de deux variables : la distance au rucher le plus proche, et la densité des colonies. Sur la compétition entre les abeilles, le protocole permettait d’observer deux compétitions distinctes : la compétition intraspécifique (abeilles d’une même espèce) et la compétition interspécifique (entre des espèces différentes).

L’étude sur le terrain présente les résultats suivants :

  • On constate l’existence d’une compétition interspécifique pour le nectar, plus particulièrement sur la Callune et la Bruyère
  • Une compétition intraspécifique est constatée pour le pollen en fonction de la météo (effet variable selon le vent)

Pour se faire une idée de la perception des apiculteurs sur la gestion des ressources, des entretiens ont été menés et un jeu de rôle sérieux a été développé. AgorApi, outils composé d’un plateau, de tuiles, de pions et de cartes, permet de partager des connaissances et de favoriser une discussion entre les apiculteurs. Testé lors de différentes sessions, il a permis de mettre en évidence certains obstacles à l’organisation collective et conflits d’usage :

  • L’incertitude et la raréfaction des ressources
  • La crainte d’une sanction
  • La conscience écologique
  • Les règles d’usage apicole qui ne favorisent pas la coopération

La présentation s’est poursuivie par un temps de questions-réponses. Plusieurs apiculteurs ont exprimé leur crainte de voir l’abeille domestique et l’apiculture dépeinte comme un risque pour la biodiversité, soulevant la nécessité selon eux de promouvoir collectivement (avec les acteurs de la biodiversité), l’augmentation de la ressource avant toute chose. Un apiculteur a notamment rappelé la responsabilité d’acteurs en cause dans la réduction de la ressource par l’artificialisation des sols, la destruction des biotopes et l’usage abusif de produits phytosanitaires, évoquant la nécessité d’agir également sur ce plan.

Certaines perspectives émergent de l’étude présentée laissent entrevoir des solutions comme le partage d’information, la gestion collective des emplacements, la mutualisation des transports… Pour poursuivre son analyse, Léo Mouillard-Lample envisage d’adapter l’expérience AgorApi à d’autres territoires apicoles, en intégrant d’autres apiculteurs, des agriculteurs et des forestiers. Une synthèse nationale pourrait ainsi permettre de mieux comprendre les compétitions interspécifiques et intraspécifiques selon les régions et les différents types d’environnements et de miellées.

« Sélection génétique de l’abeille domestique (Apis mellifera) dans un climat nordique »

– Ségolène Maucourt, PhD. chercheure au Centre de Recherche en Sciences Animales de Deschambault, à Québec, Canada. Responsable du programme de sélection de l’abeille Québécois

Ségolène Maucourt, PhD. chercheure au Centre de Recherche en Sciences Animales de Deschambault (CRSAD), à Québec, Canada, a présenté l’apiculture Canadienne et ses enjeux actuels. Elle a aussi introduit le programme de sélection génétique apicole du CRSAD/Université Laval et leur stratégie de diffusion de sélection.

Pour un territoire 20 fois plus grand que celui de la France, le Canada compte 13 850 apiculteurs pour 764 829 colonies. La production de miel y a été en moyenne de 38 765 tonnes de miel par an sur les 5 dernières années, et environ 80% du miel qui y est produit provient des provinces des prairies, au sud du pays. La saison apicole s’étale sur 4 à 5 mois, de mai à août.

Certains enjeux y sont spécifiques : l’hivernage, par exemple, se fait par isolation totale de la ruche en extérieur ou dans des caveaux tempérés pour préserver les colonies des grands froids. Un autre enjeu est le besoin grandissant d’une auto-suffisance en abeilles : les apiculteurs sont aujourd’hui dépendants des importations de reines d’autres pays, notamment des États-Unis.

C’est pour répondre à ces enjeux que le laboratoire d’Apidologie de l’Université Laval et le CRSAD ont décidé de concentrer leurs travaux sur la sélection génétique. La complexité du mode de reproduction et de son modèle génétique ont longtemps limité les travaux de recherche en sélection. Certaines avancées scientifiques récentes tel que le système de modélisation BLUP Animal la rendent désormais plus rapide et plus efficace.

Les travaux de ces instituts canadiens s’appliquent donc à sélectionner des abeilles capables de transmettre différents caractères agissant par exemple sur : le comportement hygiénique (lutte contre les infestations de varroa), l’efficacité de production, la consommation hivernale, le développement printanier. Sur une durée d’étude de 10 ans (2010-2020), les colonies du programme de sélection apicole montrent des progrès :

  • Comportement hygiénique : +2,73 %
  • Production de miel : +5,6 kg de miel
  • Développement printanier : +1480 cellules de couvain

La recherche se poursuit et s’ouvre à d’autres caractères tels que le niveau de douceur d’une colonie, le comportement de ré-operculation (nettoyage des cellules), la production de propolis, ou encore la production de pollen.

L’objectif restant celui de produire des reines canadiennes adaptées au climat et aux pratiques apicoles territoriales, la recherche s’étendra dans les années à venir en collaboration avec des éleveurs de reines volontaires qui sélectionneront et testeront les génétiques envoyées par l’institut. Ils partageront en retour leurs observations afin de permettre à l’institut de continuer à améliorer son programme et d’alimenter ses bases de données. Ségolène Maucourt animera d’ailleurs une formation au catalogue de l’ADA Grand Est en novembre : Perfectionnement en sélection apicole.

« La compréhension des phénomènes responsables du déclin des populations d’abeilles »

Yves Le Conte, Directeur de recherche à l’INRAE

Yves Le Conte, biologiste et Directeur de recherche à l’INRAE, auteur de nombreux ouvrages et articles scientifiques et coéditeur de la revue scientifique Apidologie, est venu présenter les différents phénomènes responsables du déclin des populations d’abeilles, et quelques-uns des axes qui contribueront à y faire face.

Constatées depuis 1995, les mortalités et dépopulations d’abeille peuvent s’expliquer par de multiples facteurs. C’est en 95 que les apiculteurs français appellent en masse à l’interdiction des pesticides tels que l’insecticide Gaucho, portant des recherches à être menées dans les années 90-2000. Ces recherches aboutiront finalement à son interdiction sur les cultures de tournesol, colza et de maïs. 30 ans plus tard, le déclin des abeilles persiste et se constate aux quatre coins du globe.

Aux pesticides s’ajoutent les parasites et les maladies. Le Varroa Destructor est l’un des principaux responsables : sa résistance aux acaricides rend complexe la lutte contre varroa, et son infestation diminue les réponses immunitaires de l’abeille, la rendant vulnérable aux virus et aux maladies (70 virus différents connus depuis 1994). En Europe, les maladies et virus les plus rependus sont : les ailes déformées (DWV), le couvain sacciform (SBV), la paralysie chronique ou maladie noire (SPV) et le virus de la cellule de reine (BQCV). S’ajoutent à cela les prédateurs, dont le frelon asiatique qui s’installe progressivement en Grand Est.

Les changements climatiques apportent également leurs conséquences, notamment sur l’alimentation de l’abeille : on observe un manque de nectar, de miellats, et un appauvrissement de la qualité du pollen, quand il y en a. Le réchauffement climatique entraine une cascade d’effets sur l’abeille : modification des floraisons, ruptures de pontes, hivernages, apparition de parasites ou prédateurs, modification des besoins dans la ruche (refroidir la colonie, perturbation du butinage).

Yves Le Conte le rappelle : pour faire face à tous ces défis, le rôle de l’apiculteur est primordial. Pour préserver la santé de l’abeille, l’apiculteur doit continuer d’accompagner l’abeille en adaptant ses pratiques : respect de l’alternance des molécules acaricides pour lutter contre la résistance de varroa, isolation des ruches, changement des habitudes de transhumance, nourrissement des colonies.

Assemblée Générale 2023

Cet évènement était aussi l’occasion idéale d’organiser notre assemblée générale ordinaire sur l’année l’activité 2023. Les adhérents de l’ADA Grand Est, nos administrateurs et notre équipe ont ainsi pu revenir en détail sur toutes les actions menées durant l’année passée, voter le programme, la stratégie et le budget pour 2024, et élire le nouveau Conseil d’Administration de l’association.

Cette vidéo retraçant les activités majeures de l’ADA Grand Est en 2023 ! Bon visionnage !

Remerciements

L’ADA Grand Est remercie les conférenciers pour cette journée riche en échanges. Merci à Léo Mouillard-Lample, Ségolène Maucourt et Yves Le Conte pour leur enthousiasme et leur disponibilité tout au long de notre évènement.

#Journées techniques