Marché du miel en France, la table ronde de nos Journées Techniques 2024


Publié le
Partager sur

L’édition 2024 des Journées Techniques de l’ADA Grand Est s’est tenue les 15 et 16 février. Après avoir suivi 3 conférences et l’assemblée générale de l’ADA Grand Est lors du premier jour, les participants ont pu assister à une table ronde sur un thème au cœur des préoccupations des apiculteurs : la crise du marché du miel en France.

5 invités étaient sur scène pour partager leur expérience du marché du miel français actuel et pour échanger avec les apiculteurs présents afin d’apporter une compréhension commune du contexte. L’échange était introduit et modéré par Jacques Combes, consultant indépendant travaillant depuis plusieurs années sur la thématique du marché du miel en France et en Europe.

JOUR 2 – Table ronde

Introduction de la commercialisation du miel en France et à l’international

Dans son introduction, Jacques Combes a présenté le contexte du marché du miel à l’international, permettant à l’audience d’en percevoir les enjeux actuels. En effet, pour comprendre le marché du miel en France, il est nécessaire d’en appréhender toutes les facettes : identification des différentes parties prenantes, ressources et récoltes, variations des stocks, importations et exportations, consommation des ménages…

On constate en 2022 une hausse du miel disponible apparent (stock des productions françaises + importations) avec 63 130 tonnes de miel disponible, soit +22%, selon un rapport de l’ITSAP. Or, les apiculteurs expriment tout de même de plus en plus de difficulté à écouler leurs stocks. Pour expliquer cette crise, différentes hypothèses ressortent des données :

  • Baisse de la demande des conditionneurs : d’après les enquêtes menées par ADA France, les apiculteurs constatent en France une baisse ou une absence de la demande des conditionneurs pour des miels en fûts, ou une proposition de prix revus à la baisse. (Source : Enquête ADA France)
  • Importation des miels d’autres pays : en 2022, le tonnage de miel « Origine France » commercialisé est estimé à seulement 39% du volume vendu, laissant donc déduire une part des miels importés vendus de 61%. (Source : Rapport ITSAP). En Union Européenne, 4 pays concentrent 77% du total des importations de miel : en tête, la Chine et l’Ukraine, suivies du Mexique et de l’Argentine.
  • Baisse des achats de miel : en GMS en France, on constate une baisse des achats des ménages sur les dernières années (Source : Michaud). – 9% en 2021, -1,6 % en 2022, -5,4% en 2023. Cette baisse se retrouve également dans d’autres pays d’Europe avec : -4,3% en Allemagne, -3% en Italie et 4,6% en Suède.

Jacques Combes a terminé sa présentation en offrant quelques perspectives d’actions à court et moyen terme : mobiliser les réglementations de l’Union Européenne afin d’assainir les marchés agricoles, mettre en place un programme de promotion du miel de France, poursuivre l’étude de la consommation du miel pour mieux la comprendre, poursuivre la lutte contre les miels frauduleux.

Présentation de différents modèles de commercialisation

Julien Nageleisen, apiculteur membre de la coopérative les Compagnons du Miel a présenté son expérience en tant que coopérateur et le fonctionnement de cette dernière.

L’objectif de la coopérative est de valoriser le miel de ses adhérents, à travers une démarche mettant en avant la traçabilité, la transparence et garantie de qualité. La marque compagnon du miel existe depuis 2008 et s’appuie sur la certification agri éthique.

La stratégie de France Miel est de mettre en avant le miel français, c’est un travail de fond lancé depuis plusieurs années qui porte ses fruits avec un développement continu. Le nombre d’adhérents augmente avec maintenant 205 coopérateurs répartis dans toute la France. Il y a nécessité d’une approche prudente en termes d’adhésions pour pouvoir assurer l’engagement vis-à-vis des coopérateurs déjà présents.

La vente en coopérative demande un état d’esprit spécifique. Un adhérent doit être sensible à l’approche collective, solidaire des bénéfices comme des difficultés vécues par le groupe.

Étienne Carter (Le Rucher des Ducs de Lorraine) apiculteur en Moselle de père en fils, a présenté son exploitation. Il vend essentiellement en direct et gère deux ateliers distincts : un atelier d’élevage (représentant 60% de temps de travail pour 40% du chiffre d’affaire) et un atelier de production de miel (représentant 40% de temps de travail pour 60% du CA). Il pratique la transhumance dans la Région Grand Est pour proposer une variété étendue de miel à ses consommateurs.

L’exploitation familiale a toujours souhaité conserver une proximité avec le client. Elle pratique en conséquence différents schémas de vente en direct : marchés de noël, magasins de producteurs, vrac boulangeries, points de ventes, drives fermiers suite au Covid.

Après une pause Covid, Étienne Carter a pu observer que les consommateurs revenaient à des achats en GMS plutôt que de se diriger vers les circuits locaux. Sur 2023, il déclare avoir constaté une baisse de 20 % des ventes en magasins de producteurs, puis une remontée soudaine en début 2024 à la suite des mouvements agricoles.

Thierry Boyé (GAEC Les Ruchers du Bassigny), est apiculteur depuis 1986 en Haute-Marne. Son exploitation est composée de deux ateliers : un atelier en production de miel et un atelier de fabrication de matériel. Il vend essentiellement en gros, car au-delà de 400 ruches, ce schéma de vente présente un gain de temps non négligeable et lui permet de dégager du temps pour l’atelier de fabrication de matériel en hiver. La crise actuelle lui rappelle celle des années 80 où le prix du miel était au plus bas, mais il se souvient aussi d’années plus glorieuses, comme en 2010.

Sur la vente, Thierry Boyé conseille tout de même de ne pas prendre de décisions trop hâtives. En effet, si toutes les grosses exploitations se mettaient à faire de la vente en direct, il y aurait selon lui une aggravation de la crise pour tous les profils d’apiculteurs (en Italie par exemple et à la suite d’une crise similaire il y a 3 ans, beaucoup d’apiculteurs se sont tournés vers l’élevage de reine, entrainant en conséquence beaucoup de concurrence sur l’élevage).

Aujourd’hui, il ne se considère pas en difficulté car il a assez d’années d’expérience, mais il exprime son inquiétude pour les jeunes installés qui doivent faire face à des enjeux de trésorerie pour avoir contracté des emprunts lors de leur installation. Il serait intéressant de mieux comprendre le consommateur et ses attentes, et de continuer à affiner le travail sur les analyses de miel.

Famille Michaud : du point de vue du conditionneur

(Précision : Thierry Lauvergeat, Culture Miel avait répondu présent mais un incident de dernière minute a empêché l’intervenant d’être présent)

Afin que la majorité des parties prenantes du marché du miel soit représentée, l’ADA Grand Est souhaitait donner la parole à un conditionneur. Seule la société Famille Michaud Apiculteurs a répondu positivement à notre invitation, représentée par Damien Faggion, Responsable Achats Matières Premières, et Tanguy Leducq, Responsable achat miels France. Venus présenter la société, ses constats sur le marché du miel et les enjeux qui animent leurs stratégies d’achats et de vente, Damien Faggion et Tanguy Leducq ont aussi répondu aux différentes questions des apiculteurs présents.

Représentant 50% du miel vendu en GMS (Grandes et Moyennes Surfaces), la société Famille Michaud s’inscrit dans une vision commerciale de l’offre et de la demande : elle explique établir une stratégie à l’année sur les études des marchés et les prédictions des achats, adaptant donc ses achats de miels aux quantités qu’elle anticipe pouvoir vendre, et positionnant son offre sur les GMS car c’est là que son client se trouve.

Sur la concurrence dans les rayons français, la société Famille Michaud rappelle deux critères. Tout d’abord et selon elle, les autres tartinables, tels que les pâtes à tartiner ou la confiture, représentent une concurrence solide face au miel. Même en contexte d’inflation, Nutella continue par exemple d’augmenter son volume de vente de 6 % alors que les ventes de miel chutent.

Une autre concurrence notable dans les rayons, qui elle, contribue à tirer les prix du miel vers le bas : celle des conditionneurs européens qui ne sont toujours pas légalement tenus d’indiquer une traçabilité et une provenance précise de leurs miels, notamment mélangés. En effet, seuls 7 pays en Europe imposent à leurs conditionneurs d’informer le consommateur des pays de provenance des miels sur leurs étiquettes, dont la France. Les conditionneurs allemands et belges, par exemple, restent autorisés à utiliser les mentions « Mélange de miels originaires et non originaires de l’UE », mention qui n’est plus autorisée en France. Cette traçabilité opaque leur permet de continuer d’acheter du miel toujours moins cher, pouvant notamment provenir de différentes plaques tournantes.

Sur le sujet des importations de miels étrangers à bas prix, la société Famille Michaud justifie ses achats par une nécessité de répondre à la demande du consommateur, d’être compétitif et de rester accessible. Elle explique dans son cas appliquer les mêmes contrôles aux miels français et étrangers. L’existence de différentes plaques tournantes dans le monde a également été discuté, notamment celles situées en Europe et qui contribuent largement à la dévalorisation du miel. La société Famille Michaud convient de l’importance de la transparence et d’une réglementation généralisée à tous les conditionneurs européens pour garantir l’origine et la qualité des miels vendus et regagner la confiance du consommateur, une confiance qui devient cruciale face aux récents scandales en unes des médias. Dans ce sens, l’Union Européen a d’ailleurs voté en janvier 2024 une révision de la directive « Petit-Déjeuner » visant à réglementer davantage tous les pays membres sur l’indication de la composition et de la provenance des miels mélangés (En savoir plus).

Différentes questions ont été posées par les apiculteurs du Grand Est, engageant des échanges et des discussions sur différents thèmes. Parmi ces discussions, un sujet se retrouve en convergence de plusieurs enjeux : l’image du miel chez les consommateurs. Il apparait qu’en dépit de la diversité des profils d’acheteurs de miel, une communication transparente et valorisante pour l’apiculture française en GMS pourrait permettre d’assainir le marché et de répondre aux intérêts des différents acteurs.

En conclusion

En organisant cette table ronde, l’ADA Grand Est souhaitait présenter une synthèse des données accessibles et un état des lieux du marché. L’objectif était de donner la parole à une variété de parties prenantes concernées par la crise qui impacte la commercialisation du miel en France afin de permettre une compréhension collective des différentes réalités et d’envisager des solutions communes. Ces échanges ont permis aux apiculteurs présents de repartir avec quelques clés d‘analyse et de compréhension qui pourront être utiles au développement de stratégies face au contexte du marché du miel.

La filière apicole intègre plusieurs modèles économiques et en cela, la crise du marché du miel doit être observée dans sa multiplicité. Lors de cette table ronde, le rôle de l’interprofession a été évoqué et il ressort des échanges qu’Interapi est, de par son rôle, la plus à même de porter cette problématique auprès des institutions, de lancer des projets de communication permettant la valorisation du miel français, des études permettant de mieux connaître les consommateurs de miel en France. Les apiculteurs espèrent que les mobilisations nationales permettront d’obtenir un soutien des institutions afin d’engager les ressources et les actions nécessaires à la valorisation du miel français et à la restauration d’un marché équilibré pour les différents acteurs.

Vente directe, vente en fût, vente en coopérative… si les chemins de la vente et de l’achat du miel sont multiples, le dernier maillon de cette chaîne reste le consommateur. Il apparait des échanges de cette matinée que l’image du miel nécessite aujourd’hui d’être redorée. Le constat est aujourd’hui clair : le consommateur ne sait plus qui croire ni quel miel acheter. Le consommateur peine à reconnaitre la valeur et la qualité du miel. Il devient donc important de saisir les attentes du consommateur et de l’accompagner à comprendre le miel et l’apiculture sous ses multiples aspects, créer une « culture » du miel afin de favoriser l’engagement du consommateur sur le long terme.

Ces échanges constructifs ont permis d’ouvrir le dialogue et le débat entre les différentes parties. Ils ouvrent quelques perspectives pour entrevoir une sortie de crise. L’ADA Grand Est remercie chacun des intervenants de cette table ronde : Merci à Jacques Combes pour son introduction du sujet et pour avoir modérer les discussions. Merci à Julien Nageleisen, Thierry Boyé et Etienne Carter, apiculteurs en Grand Est, pour avoir contribué à illustrer la diversité de commercialisation existante en apiculture. Enfin, merci à Damien Faggion et Tanguy Leducq, représentant la société Famille Michaud Apiculteurs, pour avoir accepté notre invitation et avoir répondu aux interrogations des apiculteurs présents.

Extrait du rapport moral du Président de l’ADA Grand Est, prononcé lors de l’Assemblée Générale Ordinaire du 15 février : 

« Cette table ronde est l’occasion de rouvrir un dialogue entre apiculteurs et conditionneurs sans promettre de solutions miracles mais en commençant par comprendre et poser les jalons d’une sortie de crise. Nous poursuivrons ce travail sur la valorisation des produits de la ruche qui fait d’ailleurs partie de nos missions et nous animerons dès cette année un groupe de travail pour construire des actions concrètes ensemble en Grand Est. »

#Journées techniques